Article original
Enquête comparative sur le syndrome d’épuisement professionnel chez les anesthésistes réanimateurs et les autres praticiens des hôpitaux publics en France (enquête SESMAT)Burnout in French doctors: A comparative study among anaesthesiologists and other specialists in French hospitals (SESMAT study)

https://doi.org/10.1016/j.annfar.2011.05.011Get rights and content

Résumé

Objectif

Le syndrome d’épuisement professionnel (SdEP) a des répercussions néfastes sur la santé des professionnels de soins, mais aussi sur la qualité des soins. L’objectif de l’enquête santé et satisfaction des médecins au travail (SESMAT) était de mesurer la fréquence du SdEP chez les médecins et pharmaciens salariés (MPS) des établissements de soins. Les objectifs secondaires étaient de mettre en évidence les facteurs de risque du SdEP chez les anesthésistes réanimateurs (AR) et chez les autres praticiens.

Méthodes

Sur la base d’un questionnaire anonyme autodéclaratif diffusé via un site Internet, le SdEP a été exploré par le Copenhaguen Burnout Inventory (CBI) chez les AR et les autres praticiens. Différents scores ont été utilisés : pression quantitative de travail ; qualité du travail d’équipe ; influence au travail ; relations interpersonnelles ; santé perçue ; conflit travail/famille ; satisfaction du salaire. Une analyse multivariée par régression logistique multiple a cerné le rôle de chaque facteur.

Résultats

Parmi les 3196 MPS ayant rempli un questionnaire analysable, le CBI a permis de mesurer un score élevé de SdEP chez 38,4 % des AR et 42,4 % des autres praticiens (p < 0,05). Dans chaque groupe, on constate un important défaut de perception de cette atteinte puisque seuls 15 % des praticiens identifient le SdEP. Les facteurs de risque du SdEP chez les AR sont une forte pression quantitative (ORaj = 3,40 ; IC95 1,34–8,63), un score élevé de conflit travail/famille (ORaj = 3,12 ; IC95 1,60–6,08), un score faible de qualité du travail d’équipe (ORaj = 1,99 ; IC95 1,14–3,47), et des relations tendues dans l’équipe (ORaj = 1,92 ; IC95 1,25–2,95). Ces facteurs de risque sont en majorité retrouvés chez les autres praticiens. Le sexe féminin, l’âge jeune et l’insatisfaction du salaire ont une influence significative, mais différente dans les deux groupes. La déclaration de harcèlement des supérieurs est retrouvée avec une influence significative uniquement chez les anesthésistes (ORaj = 1,83 ; IC95 1,04–3,22).

Discussion

Le SdEP touche près d’un médecin ou pharmacien salarié sur deux. Les anesthésistes ne sont pas plus affectés que les autres professionnels et tous rencontrent des difficultés à identifier cet état. Réduire la pression quantitative, les conflits travail/famille et améliorer la qualité du travail d’équipe sont des objectifs primordiaux pour diminuer la fréquence du syndrome d’épuisement professionnel.

Abstract

Objective

Burnout is one of the main chronic health problems with negative consequences on health care givers but also on quality of care. The main goal of Physician Health Survey was to study the frequency of burnout among salaried physicians and pharmacists and to compare anesthesiologists and intensivists (AI) with other practitioners (OP). The secondary end points were to analyze risk factors of burnout in each group.

Material and methods

An anonymous, self-administered questionnaire was diffused via a specific website. Burnout was measured using the Copenhagen Burnout Inventory (CBI). Several different factors were examined: work/family conflict, salary satisfaction, quality of teamwork, interpersonal relationships, workplace influence, workload and perceived health. The role of each factor was calculated by multivariate logistic regression and comparisons were made between AI and OP.

Results

Among the 3196 responses, CBI revealed an elevated score of burnout in 38.4% in AI and in 42.4% in OP. In each group, a great gap was displayed between the CBI results and the self-assessment of burnout (15%). Among AI, risk factors of burnout were high quantitative demand (ORadj = 3.40; CI95 1,34–8,63), Work/family conflict (ORadj = ; 3.12 CI95 1.60–6.08), low quality of teamwork (ORadj = 1.99; CI951.14–3.47) and tense Relation within team (ORadj = 1.92; CI95 1.25–2.95). All these factors are observed also among OP. Female gender, young age and dissatisfaction with pay have significant influence but different in the two groups. Claims of recurrent harassment by superiors is a risk factor for burnout only for the AP (adj.OR = 1.83; CI95 1.04–3.22).

Discussion

Burnout affected near one about two salaried physicians and pharmacists in France. AI were not more concerned by burnout than OP but all of whom have difficulty identifying their own levels of psychological stress and burnout. Decreasing the level of different risk factors i.e. by improving the quality of teamwork should lead to reduce burnout frequency.

Introduction

L’espérance de vie des anesthésistes réanimateurs (AR) ne diffère pas de celle des autres spécialistes [1] mais les anesthésistes seraient particulièrement exposés aux troubles de la santé mentale (addiction, anxiodépression, suicide) [2]. Cependant, l’atteinte à la santé la plus fréquente liée au stress chronique au travail est le syndrome d’épuisement professionnel (SdEP) ou burnout qui, sans être une maladie mentale, peut cependant conduire à la dépression. Le SdEP affecte aussi les médecins et a des conséquences néfastes sur la qualité des soins [3]. Le SdEP se caractérise par l’apparition de troubles somatiques non spécifiques (cardiovasculaires, digestifs, musculosquelettiques), psychiques et comportementaux (isolement, conflits, résistance aux changements, consommations abusives, absentéisme ou, au contraire, pseudoactivisme professionnel) chez des sujets sans atteinte psychologique antérieure connue. Touchant plus fréquemment les personnalités qui situent leur idéal professionnel dans le perfectionnisme, il comporte, selon Christina Maslach, trois dimensions particulières chez les soignants : l’épuisement émotionnel, qui se traduit par la fatigue et une sensation de vide intérieur, la dépersonnalisation, traduite par une indifférence envers le patient et les collègues et, enfin, un sentiment de dévalorisation professionnelle qui en est une conséquence. [4].

Le modèle de Karasek et Theorell [5], [6], [7], [8], [9] et le modèle de Siegrist [10] sont reconnus pour étudier les dimensions psychosociales du stress au travail. Le modèle de Karasek et Theorell évalue « la demande de travail (quantitative, cognitive ou émotionnelle) », le « contrôle du salarié sur son travail » et les conflits interpersonnels [8]. Le risque pour la santé psychique apparaît en cas de forte demande associée à une faible autonomie ou influence au travail. Le soutien social vient moduler la tension au travail. Le modèle de Siegrist étudie « le déséquilibre effort/récompense lié au travail ». Il évalue la récompense principalement comme la manifestation du respect et de l’estime de la part de la hiérarchie et des collègues, au regard des efforts et de l’ingéniosité du salarié. Le soutien dans les situations difficiles, le sentiment de justice dans les décisions prises et le salaire sont parmi les items mesurés dans le modèle de Siegrist qui introduit aussi la notion de surinvestissement au travail.

En France, dans un contexte démographique et concurrentiel difficile [11], [12], [13], [14], le SdEP chez les médecins des hôpitaux peut retentir sur l’efficience globale du secteur hospitalier et commence à être appréhendé par les institutions [15], [16].

L’objectif principal de l’enquête santé et satisfaction des médecins au travail (SESMAT) était d’étudier la fréquence et les facteurs de risque du SdEP chez les médecins et pharmaciens salariés (MPS) exerçant dans les établissements de santé. Les données recueillies ont permis de comparer les médecins AR aux autres praticiens salariés.

Section snippets

Questionnaire

L’enquête SESMAT a été conduite du 28 mars 2007 au 30 avril 2008, auprès des praticiens seniors (médecins et pharmaciens) exerçant des fonctions salariées dans des établissements publics et privés de soins, en médecine du travail et en santé publique, tous statuts confondus. Un questionnaire a été élaboré par un comité de pilotage, reprenant le questionnaire PRESST-NEXT utilisé en 2004 auprès de soignants paramédicaux européens [17], [18], pour les deux tiers des questions, et adapté aux

Taux de réponse

La cible théorique était constituée des 4500 AR salariés, sur un effectif global de près de 45 000 praticiens salariés (données Sigmed actualisées – Centre national de gestion des carrières 2009 [23]). Parmi les 4799 connexions au site de l’enquête, 3196 médecins ou pharmaciens salariés ont rempli un questionnaire analysable, soit un taux de réponse de 66 % pour la population ayant eu connaissance de l’enquête.

Syndrome d’épuisement professionnel chez les anesthésistes réanimateurs comparés aux autres praticiens salariés

Le questionnaire de Copenhague (CBI) a permis de mesurer un SdEP élevé chez 38,4 %

Discussion

Le questionnaire de Copenhague a permis de mesurer un score d’épuisement professionnel élevé chez environ 40 % des AR salariés en France. La fréquence du SdEP mesuré par le CBI, d’une part et par le CBI lié aux patients, d’autre part, est un peu plus faible que chez les praticiens du groupe de comparaison. Cependant, quand on exclut de l’analyse le sous-groupe des médecins urgentistes, la différence entre les anesthésistes et l’ensemble des praticiens disparaît. Mais, cette étude souligne aussi

Conclusion

L’enquête SESMAT confirme la forte prévalence (40 %) du SdEP chez les anesthésistes et les autres praticiens salariés français, mais aussi leur faible capacité à identifier cet état de souffrance. Les femmes, les plus jeunes et les médecins urgentistes vivent plus difficilement leur travail. Malgré de fortes contraintes de stress chronique, les AR ne sont pas plus touchés que les autres praticiens : cela relève peut-être d’une culture de métier très collective où le lien social au travail

Déclaration d’intérêts

Max-André Doppia est secrétaire général adjoint élu du Syndicat national des praticiens hospitaliers en anesthésie réanimation – Élargi (SNPHAR-E).

Les membres du comité de pilotage de l’enquête SESMAT figurent au début de l’article.

Remerciements

L’enquête santé et satisfaction des médecins au travail (SESMAT) a bénéficié du soutien financier et logistique de l’Assistance publique–Hôpitaux de Paris, du Conseil régional d’Île de France et du Conseil régional Rhône-Alpes et du Syndicat national des pharmaciens des établissements publics de santé (SYNPREFH).

Références (60)

  • R.A. Karasek

    Job demands job decisions latitude and mental strain: implications for job redesign

    Adm Sci Quat

    (1979)
  • R.A. Karasek et al.

    Healthy work: stress productivity and the reconstruction of working life

    (1990)
  • T. Theorell et al.

    Changes in job strain in relation to changes in physiological state: a longitudinal study

    Scand J Work Environ Health

    (1988)
  • J.V. Johnson et al.

    Job strain, work place social support, and cardiovascular disease: a cross-sectional study of a random sample of the Swedish working population

    Am J Public Health

    (1988)
  • T.S. Kristensen et al.

    The Copenhagen Psychosocial Questionnaire: a tool for the assessment and improvement of the psychosocial work environment

    Scand J Work Environ Health

    (2005)
  • J. Siegrist

    Adverse health effects of high effort – low reward conditions at work

    J Occup Health Psychol

    (1996)
  • Sicart D. Projection médecins 2002–2020 ministère de l’Emploi et de la Solidarité. Drees, Séries statistiques no 30;...
  • HOPE. The health care workforce in Europe: problems and solutions; rapport final du groupe d’étude sur la force de...
  • J. Touret et al.

    L’avenir de la démographie médicale hospitalière

    Gestions hospitalières

    (2008)
  • B.E. Landon et al.

    Leaving medicine: the consequences of physician dissatisfaction

    Med Care

    (2006)
  • Les médecins : des patients pas comme les autres. Bulletin du Conseil national de l’ordre des médecins; sept–oct...
  • 51e Congrès national de la SFAR ; Paris, septembre 2009 : « le burnout nous...
  • H.M. Hasselhorn et al.

    Working conditions and intent to leave the profession among nursing staff in Europe. Working Life Research Report 7; 2003

    (2003)
  • M. Estryn-Béhar et al.

    The impact of social work environment, teamwork characteristics. Burnout, and personal factors upon intent to leave among european nurses

    Med Care

    (2007)
  • M. Borritz et al.

    Burn out among employees in human service work: design and baseline findings of the PUMA study

    Scand J Public Health

    (2006)
  • T.S. Kristensen et al.

    The Copenhagen Burnout Inventory: a new tool for the assessment of burnout

    Work Stress

    (2005)
  • M. Estryn-Behar et al.

    Emergency physicians accumulate more stress factors than other physicians – Results from the French SESMAT study

    Emerg Med J

    (2001)
  • Gautier A. Baromètre Santé médecins/pharmaciens 2003. Observatoire français des drogues et des toxicomanies...
  • Cited by (60)

    • The workplace quality of life of university hospital digestive surgeons: Results of a 2019 nationwide survey

      2022, Journal of Visceral Surgery
      Citation Excerpt :

      By 2019, increased awareness of the problem, intensified by alarming situations [11], had induced the CNU 52-02 bureau to organise another survey. The CBI questionnaire [10] was chosen due to its being free of copyright and because it was previously used for the SESMAT survey, published in 2011 by Doppia et al. [12]; as the largest French study to date on BOS, it involved 3196 hospital physicians and pharmacists. The validity of this questionnaire was analysed systematically by the INRS [13], and subsequent to the Maslach Burnout Inventory (MBI), it met with the approval of the French health authority (HAS) as a means of evaluating burnout syndrome and orienting relevant individual interviews [14].

    View all citing articles on Scopus
    1

    Membres du comité de pilotage de l’enquête SESMAT.

    I. Aune (centre hospitalier Sud-Francilien, Corbeil-Essonnes) ; M.-A. Doppia (CHU Côte-de-Nacre, Caen) ; M. Estryn-Behar (Hôtel-Dieu, AP–HP, Paris) ; J.-M. Lassaunière (Unité de soins palliatifs, Hôtel-Dieu, AP–HP, Paris) ; E. Lecomte (Syndicat des médecins inspecteurs de santé publique) ; G. Machet (Pharmacien hospitalier, AP–HP) ; D. Muster (Médecin du travail, centre hospitalier de Haguenau, Association nationale de médecine du travail et d’ergonomie du personnel des hôpitaux (ANMTEPH). Hagueneau) ; P. Pelloux (Samu de Paris, hôpital Necker, Paris) ; C. Prudhomme (CHU de Bobigny).

    View full text